Les oiseaux migrateurs

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Les oiseaux migrateurs

Regardez les avant

D’atteindre sa chimère

Plus d’un l’aile rompue

Et du sang plein les yeux

Mourra. Ces pauvres gens

Ont aussi femme et mère

Et savent les aimer

Aussi bien que vous, mieux

Jean Richepin, Georges Brassens, Les oiseaux de passage

L’hirondelle ne supporte pas le froid. Elle vit d’octobre à avril en Afrique, principalement au Sénégal, au Nigéria et en Afrique su Sud, et elle passe la belle saison en Europe de l’Ouest, surtout en France et dans les Iles britanniques. Elle est noire et blanche.

Le martinet, son cousin, est noir. Il vit au Sud de l’équateur en hiver et migre dans toute l’Europe l’été.

La cigogne noire quitte la Mauritanie au printemps pour venir s’installer dans le Nord-est de la France jusqu’à l’automne.

La bergeronnette est de couleur grisâtre. A la fin de l’hiver qu’elle passe au Maghreb, elle vient s’installer en France.

La sarcelle est gris-marron. Elle réside en Europe de l’Ouest l’hiver, et l’été en Europe de l’Est.

La grive est brune, tachetée de clair, et la grive mauvis est brun uni.

Le coucou a un plumage gris. Il quitte l’Afrique du Sud au printemps pour s’installer en Europe.

L’étourneau adulte a le plus souvent un plumage très sombre. Quand il est migrateur, il quitte par exemple l’Europe du Nord et de l’Est pour venir s’installer en Europe de l’Ouest ou en Afrique du Nord. Beaucoup d’étourneaux ne migrent pas et sont installés par exemple en Amérique du Nord ou en Afrique du Sud.

Le milan noir n’est pas noir, mais brun foncé. Il quitte l’Europe de l’Ouest dès le mois d’août pour passer la saison froide en Afrique du Sud, et reviennent en Europe en février-mars.

La sterne arctique, plus qu’un migrateur, est un voyageur, un nomade, un errant qui vole plus de huit mois par an, parcourant jusqu’à 70 000 km. L’été, il apprécie la chaleur du Nord de l’hémisphère nord, du pôle aux régions subarctiques, et jusqu’en Bretagne. Il hiverne dans les océans proches du pôle Sud. Le plumage des sternes adultes est gris sur les parties supérieures avec la nuque et la calotte noires et les joues blanches.

La palombe est gris-bleu, comme les hommes du désert chers à Le Clézio. A la mi-octobre, la palombe quitte ses zones de nidification situées en Allemagne, en République tchèque, en Pologne et en Finlande pour venir s’installer dans le Sud-ouest de la France ou en Espagne. Elle perd plus que des plumes en traversant les cols basques des Pyrénées. Au printemps, elle effectue le trajet inverse, en perdant de nouveau plus que des plumes au passage des cols basques des Pyrénées.

L’ortolan mâle, l’été, a le dessous du corps rosâtre, la poitrine et la tête verdâtre, la gorge jaune, le dos brun-roux rayé de noir, les ailes brun-noir liserées de roux avec deux fines barres blanches. La femelle est plus terne que le mâle. Le plumage hivernal est beaucoup plus terne que le plumage estival. Le bruant ortolan, c’est son vrai nom, se rencontre en été dans de nombreux pays d’Asie et d’Europe, du sud de la Scandinavie au sud de l’Espagne, à l’Est jusqu’en Russie et en Mongolie. En France, il est commun dans le Midi. Il migre en automne en Iran et en Arabie, en Afrique, du Sénégal à l’Ethiopie et au sud du Sahara.

En somme, un peu de blanc, du gris, du brun et du noir.

Tous ces oiseaux vivent, ou du moins vivaient en harmonie, en tous cas sans conflits majeurs, avec les espèces sédentaires, partageant depuis quelques décennies leurs difficultés liées à l’usage des pesticides qui empoisonnent les insectes et les céréales, ici et ailleurs, donc leur nourriture, qu’ils soient insectivores, frugivores ou granivores. Mais les oiseaux migrateurs sont encore plus pénalisés que les sédentaires. Dès qu’ils sont moins bien nourris, ils meurent de faim et d’épuisement pendant les migrations, en particulier quand ils traversent une mer ou un océan sans pouvoir se reposer, faute de bateaux à voiles… On ne migre jamais par plaisir. C’est toujours une contrainte, très souvent un risque vital. C’est ainsi que l’île italienne de Lampedusa ne cesse de voir arriver sur ses côtes et dans les filets de ses pêcheurs les cadavres de ces oiseaux morts noyés par milliers, dans une indifférence quasi générale.

Quand la mer se ramène avec des étrangers,

en Bretagne y’a toujours la crêp’rie d’à côté,

et un marin qui t’file une bonne crêpe en ciment,

tellement il y a fourré des tonnes de sentiments

Léo Ferré, Les étrangers

Dans une société en crise économique, sociale, morale, sociétale, politique comme l’est la société française, les oiseaux migrateurs reçoivent néanmoins l’aide d’individus et d’associations sensibles à leur sort.

Les principales associations sont la LPO (ligue pour la protection des oiseaux), la LDH (ligue de défense des hirondelles), la CIMADE (centre d’intervention pour un meilleur accueil des étourneaux), RESF (réseau d’entraide et de solidarité fraternelle), ATTAC (association typiquement tournée vers l’assistance aux cigognes), la CNT (cigognes noires en transit) et le MRAP (mouvement pour un renouveau de l’accueil des palombes).

Ces associations sont actives sur tout le territoire, mais surtout dans les couloirs de migration et les zones de repos, souvent des zones humides.

J’ai appris très tard à aimer les oiseaux
je le regrette un peu
mais maintenant tout est arrangé
on s’est compris (…)
les oiseaux donnent l’exemple
l’exemple comme il faut
exemple des oiseaux
exemple des oiseaux
exemple les plumes les ailes le vol des oiseaux
exemple le nid les voyages et les chants des oiseaux
exemple la beauté des oiseaux
exemple le cœur des oiseaux
la lumière des oiseaux.

Jacques Prévert, Paroles, Au hasard des oiseaux

Des individus, membres ou non de ces associations, sont bien connus pour s’être engagés dans le difficile combat pour la défense des oiseaux migrateurs. Ils agissent au plan local mais leur rayonnement dépasse de loin le cadre de leur région, voire de la nation.

Parmi eux, on peut citer Damien Kâ, dans le Nord-Ouest, plus précisément à Grande-Synthe, qui accueille, soutient, protège avec une rare énergie et beaucoup de courage tous les oiseaux migrateurs qui font étape en Normandie en espérant poursuivre leur migration, ensuite, vers les Iles britanniques.

Même s’il n’habite pas dans le Nord, Mathieu Quas dénonce, caméra en main, les exactions des chasseurs de tout poil commises contre les oiseaux migrateurs faisant escale à Calais.

A Paris, Anne Hi voit venir ces oiseaux refoulés de partout, malmenés, harcelés, et tente malgré une opposition violente de nombreux indigènes assez peu partageux, d’accorder à ces êtres en sursis un peu de réconfort.

A Rome, François ne cesse d’en appeler à la générosité et au partage, mais sa voix porte peu.

Dans le Sud-est, près de la frontière italienne, Martine Land brave les chasseurs et les porteurs d’hermine, et vient en aide aux oiseaux migrateurs affamés, perdus, désireux de poursuivre leur route vers le Nord.

A Briançon, c’est Gérard Fro qui se déclare fier de son conseil municipal après l’attribution d’un logement vacant à une association d’aide aux oiseaux migrateurs.

A Grenoble, c’est Eric Pie qui, de Montgenèvre, là où de nombreux oiseaux migrateurs tentent de passer la frontière franco-italienne au péril de leur vie pour rejoindre la France, s’indigne et se révolte : « Nous sommes ici sous le col de l’Échelle, sur une route mondiale de l’exil, au cœur de l’Europe entre la France et l’Italie. Nous sommes ici au sommet de l’absurde« .

A Breil-sur-Roya, Cédric Herre cultive des oliviers et élève des poules. Les oiseaux, il les connait donc bien. Il se refuse à faire un tri entre les migrateurs et les sédentaires. Il a été condamné pour aide aux oiseaux migrateurs à 4 mois de prison avec sursis en août 2017. Ses convictions humanistes l’ont amené à accompagner en train à Marseille (eh oui ! en cas de force majeure, les oiseaux migrateurs sont parfois amenés à voyager en train) de nombreux oiseaux en quête de reconnaissance juridique. Il a même failli se retrouver en prison pour avoir emprunté un couloir autoroutier de migration avicole entre Breil-sur-Roya et Nice afin d’y livrer ses oiseaux non migrateurs sur le marché.

On peut aussi louer le courage de Jacques Tout. Cet ancien ministre d’un autre Jacques, devenu Défenseur des droits des oiseaux migrateurs et autres pauvres hères des temps modernes, dénonce « une défaillance par rapport aux droits fondamentaux « . Il évoque en ces termes, en cette fin 2017, la circulaire gouvernementale du 12 décembre [2017] qui prévoit le déploiement d’équipes mobiles dans les centres d’hébergement pour procéder au recensement des oiseaux migrateurs qui vont selon lui être amenés à fuir si les centres deviennent des pièges. Trois mois plus tôt, il s’était déjà inquiété d’une logique de « tri » entre « bons » et « mauvais » oiseaux migrateurs. Il visait alors le manichéisme d’Emmanuel Mac opposant les bons volatiles demandeurs d’asile et les mauvais migrateurs agissant pour des raisons économiques. La Commission consultative des droits des hirondelles (CNCDH) s’est d’ailleurs inquiétée de réponses gouvernementales contribuant à « nourrir un sentiment de xénophobie« .

Pour finir, citoyen du monde et apôtre laïc de l’humanisme, Jean-Marie Gustave Le Clézio est aussi un partageux. Et il sait de quoi il parle quand il évoque le thème des migrations de tous poils et de toutes plumes. « La vérité, c’est que chaque drame de la migration en provenance des pays pauvres pose la question qui s’est posée jadis aux habitants de Roquebillière, lorsqu’ils ont offert l’asile à ma mère et à ses enfants : la question de la responsabilité.

Dans le monde contemporain, l’histoire ne répartit plus les populations entre factions guerrières. Elle met d’un côté ceux qui, par le hasard de leur situation géographique, par leur puissance économique acquise au long des siècles, par leur expériences, connaissent les bienfaits de la paix et de la prospérité. Et de l’autre, les peuples qui sont en manque de tout, mais surtout de démocratie. La responsabilité, ce n’est pas une vague notion philosophique, c’est une réalité.

Car les situations que fuient ces déshérités, ce sont les nations riches qui les ont créées. Par la conquête violente des colonies, puis après l’indépendance, en soutenant les tyrannies, et enfin aux temps contemporains, en fomentant des guerres à outrances dans lesquelles la vie des uns ne vaut rien, quand la vie des autres est un précieux trésor.

La migration n’est pas, pour ceux qui l’entreprennent, une croisière en quête d’exotisme, ni même le leurre d’une vie de luxe dans nos banlieues de Paris ou de Californie. C’est une fuite de gens apeurés, harassés, en danger de mort dans leur propre pays.

Nous nous sommes habitués progressivement, depuis les guerres d’indépendances, à ce que des centaines de milliers d’être humains, en Afrique, au Proche Orient, en Amérique latine, naissent, vivent et meurent dans des villes de toiles et de tôles, en marge des pays prospères. Aujourd’hui avec l’aggravation de ces conflits, et la sous-alimentation dans les pays déshérités, on découvre que ces gens ne peuvent plus être confinés. Qu’il traversent forêts, déserts et mers pour tenter d’échapper à leur fatalité.

Ils frappent à notre porte, ils demandent à être reçus.

Comment pouvons-nous les renvoyer à la mort ? »

Le Clézio poursuit dans l’Obs : « S’il est avéré que pour faire déguerpir les migrants qui dorment sous une bâche par six degrés au-dessus de zéro les milices crèvent leurs tentes (…) S’il est avéré qu’on pourchasse les misérables comme s’ils étaient des chiens errants. Eh bien, cela est dégueulasse. Il n’y a pas d’autre mot ».

Bien sûr, tout le monde l’aura compris, quand Le Clézio parle des migrants, il veut en fait parler des oiseaux migrateurs. Un clin d’œil à Jean de la Fontaine qui, lui, en parlant des animaux, voulait parler des êtres humains.

Tous ces partageux et des milliers d’autres, anonymes, coupables de « naïveté » et de « bons sentiments« , offrent de l’eau, de la nourriture, un abri, un peu de réconfort à tous ces damnés de la Terre. Aider les oiseaux dans leur périlleux voyage est pour eux un devoir, un impératif catégorique, une évidence parfois religieuse, toujours humanitaire. Ils rappellent à l’envi que nous sommes tous, à une, deux, cinq ou dix générations, des oiseaux migrateurs. Il faut avoir croisé une fois le regard d’une palombe reconnaissant dans une soucoupe des graines de mil ou de millet ou de sorgho, à côté de celles de tournesol ou de blé, pour savoir ce que le mot reconnaissance signifie.

Sur un’e boîte de conserve, sur un pigeon d’argile, vains dieux, c’est pas pareil :

Pour les chasseurs, les vrais, il faut de la chair tiède avec du sang vermeil,

Pour les chasseurs, les vrais, il faut que ça palpit’e de plumes et de ramage,

Il faut que ça ait peur, il faut que ça se sauve, bref, que ce soit « sauvage »…

(Henri TACHAN La chasse)

Mais tout le monde ne partage pas l’idéal de ces Justes du règne animal.

Les oiseaux sont de plus en plus en butte à toutes sortes de tracasseries. Les éoliennes ne sont pas la pire, même si elles perturbent leur vol et leur habitat quand elles sont implantées dans des couloirs de migrations.

Les éleveurs de canards et oies à foie gras les détestent. Au lieu de remettre en cause leur méthode d’élevage, ou de se convertir au maraichage, ils préfèrent accuser les oiseaux migrateurs de propager diverses maladies, dont la terrible grippe aviaire.

Les règlements européens autorisent le recours massif à la viande d’étourneau dans des préparations supposées de grives, ce qui ne fait l’affaire ni des grives, ni des étourneaux.

La palombe est toujours victime de chasse au filet et au fusil lors de ses migrations via les cols pyrénéens.

Pour une majorité de Français, ces oiseaux, même s’ils sont pour la plupart seulement en transit dans notre pays, viennent manger le blé des oiseaux de souche. Passe encore d’accueillir quelques uns d’entre eux, ceux qui ont été victimes de violences dans des pays en guerre, et qui peuvent le prouver de façon convaincante, mais pour les autres, pour tous les autres, en cage ! oust ! dehors ! et n’y revenez pas !

Qu’est ce qu’elle a donc fait

La p’tite hirondelle ?

Elle nous a volé

Trois p’tits sacs de blé.

Nous l’attraperons,

La p’tite hirondelle,

Et nous lui donnerons

Trois p’tits coups de bâton.

(La petite hirondelle, comptine)

Ce sont parfois des partis politiques qui s’affichent comme hostiles à toute forme d’accueil, même limité, des oiseaux migrateurs, au nom du droit du sol, du « on est chez nous, vains dieux« , du « on ne demande rien à personne« , du « c’est à cause de l’Europe qu’on en est là« . Et la politique gouvernementale, toute favorable qu’est est à la chasse à poils et à plumes, pas uniquement à Rambouillet, de favoriser toutes ces initiatives d’intolérance, de xénophobie, de racisme, contre des oiseaux au plumage le plus souvent moins blanc que blanc, sauf quelques cygnes, quelques oies, et de rares hérons. Alors, tous les coups sont permis. Les chasseurs uniformisés ou non, professionnels ou non, se défoulent, gazent à tout va, de nuit comme de jour, écrasent les nids au bulldozer, empêchent les humanistes et les humanitaires d’offrir de l’eau et du pain aux oiseaux, poursuivent en justice les partageux, enferment les oiseaux adultes mais aussi les plus jeunes dans des camps de rétention avicole (CRA, comme le cri du corbeau !) avant de les expulser, et font jouer la matraque dès que l’ennemi se met à piailler. Il ne s’agit plus simplement de leur voler dans les plumes : c’est la politique de la traque et des rafles.

La technique est bien rodée. Les chasseurs interdisent aux bonnes volontés de nourrir les oiseaux et prétendent le faire eux-mêmes. On dispose çà-et-là des écuelles remplies de nourriture, avec, en embuscade à quelque distance, des cages grillagées. Dès que le gibier vient boire ou manger, il est capturé et conduit dans des CRA. Mais, le plus souvent, le gibier est méfiant et préfère souffrir de la faim en restant à bonne distance.

Comme dans le clan des partageux, des individus se font remarquer par leur énergie incomparable dès qu’il s’agit de lutter contre les oiseaux migrateurs. Ils se sont même organisés en une coterie sinistre, le Groupe des 11.

On ne peut évoquer ce Groupe des 11 sans citer le père fondateur de cette pensée de souche, toujours copiée, jamais égalée depuis 40 ans, même par sa fille Marine et sa petite fille Marion, à savoir le célèbrissime Jean-Marie (4 consonnes et 5 voyelles). Pour lui, pour elles, pour eux, les oiseaux migrateurs du monde entier convergent vers la France non en simple formation en V, ni même en bataillons, mais en hordes sauvages, en marée noire, en tsunamis bigarrés et sauvages. Ils viennent voler nos poules domestiques et violer nos compagnes, à moins que ce ne soit le contraire. Le lien étroit entre oiseaux migrateurs et harcèlement de rue, terrorisme et islamisation est affirmé bien haut, surtout quand il s’agit d’oiseaux originaires d’Afrique qui refusent de chanter en français.

Dans ce Groupe des 11, on connait Natacha Bout, à Calais, qui dénonce les délits permanents des oiseaux migrateurs sur le territoire de sa commune. Entre 400 et 600 oiseaux migrateurs, en escale à Calais, veulent partir en Grande-Bretagne et créent des délits permanents. « Ils interpellent les transporteurs, ils sautent sur les camions, il arrachent les bâches, (…) ils attaquent la rocade, (…) ils mettent en danger la vie des citoyens calaisiens, et ils ne sont pas interpellés« , déplore Natacha Bout. A côté, les oiseaux d’Alfred Hitchcock font pâle figure !

A Béziers, Robert Méh ne veut pas paraître en retrait. Sa haine des oiseaux migrateurs est la ligne directrice de sa politique municipale : tentative d’instaurer un referendum local sur les migrateurs, affiches d’oiseaux noirs de barbe et de sang, hirsutes, menaçants, placardées sur les murs de la ville avec le slogan « ils arrivent« , statistiques ethniques dénonçant la présence, en moyenne, de 2 oiseaux migrateurs pour un oiseau de souche dans les volières éducatives de la ville, tentative de création d’une patrouille de chasseurs volontaires pour parachever l’action de la police municipale, armement de cette police municipale (« Désormais la police a un nouvel ami« ) pour lutter efficacement contre les exactions des oiseaux migrateurs, etc.

Laurent Vaux en rajoute une couche. Pour lui, tout début de traitement d’un conflit entre oiseaux migrateurs et autochtones est une « folie« , un « appel d’air à l’immigration clandestine » de toute espèce de volatiles, comme si le but ultime d’un étourneau était de se sédentariser dans une jungle.

A Nice, Christian Esse ne veut pas se faire distancer. Il ne jure que par le retour du délit de solidarité à l’encontre des partageux assimilés à des passeurs d’oiseaux de passage dénoncés quant à eux comme clandestins. Il s’étrangle de rage quand il évoque tous ces oiseaux migrateurs, de plus en plus nombreux, qui remettent en cause notre modèle de société, ces « populations [avicoles] qui n’ont pas le même mode de vie en société, ne respectent pas les droits et les devoirs de la République française, la bafouent, l’insultent. Tout le monde a en tête l’affaire Leonarda [NDLR une jeune grive qui voulait se sédentariser en France]. »

Toujours dans les Alpes-Maritimes, allez savoir pourquoi, Eric Cie dénonce sur les ondes radio le laxisme de la gauche, l’encouragement à la création de filières clandestines. Il accuse la France d’être « le maillon faible de l’Europe des politiques migratoires« . Il voudrait que les distributions de graines, l’attribution de nids, l’accès aux soins vétérinaires en cas de maladie ou de blessure soient réservés aux seuls oiseaux « dont un parent au moins est français ou européen ».

On s’arrêtera un instant sur le cas de Nicolas Sarre, et sa célèbre « méprisance » pour les oiseaux migrateurs. Dans son magistral ouvrage Tout pour la France, paru en 2016, copié ensuite par Trump et sa formule « America first« , il écrit vouloir faire passer à 10 ans au moins le délai de résidence [des oiseaux migrateurs] pour devenir Français, contre 5 ans actuellement. Pour toucher le RSA (revenu de solidarité avicole), un [oiseau migrateur] devra justifier de 5 ans de résidence en France et d’un an de travail minimum. Les oiseaux nés en France mais de parents en situation illégale ne pourraient pas accéder à la nationalité française, pas plus que ceux qui auraient été condamnés pour survol d’une centrale nucléaire ou flashés pour vitesse excessive en vol plané par vent favorable. Et le regroupement familial du reste de la couvée serait bien évidemment suspendu. Et pas question de menu granivore de substitution au menu insectivore dans les volières éducatives. Pour finir, c’est le fameux discours de Grenoble, en 2010, qui rivalise avantageusement avec le Discours de Suède d’Albert Camus en 1957, qui constitue l’acmé de la pensée du maître penseur en matière de politique migratoire pour les oiseaux de tout plumage : oui, je vais vous le dire, il y a un lien entre insécurité et immigration non régulée des volatiles. Et c’est cette insécurité qu’il s’agit de combattre au karcher dans les quartiers où les oiseaux migrateurs, en véritable racaille, s’installent, nichent, croassent et se multiplient.

Dans cette politique du « plus haut, plus fort, plus dur« , gare à celui qui reste en retrait, sus à l’adepte des demi-mesures. C’est ainsi qu’Emmanuel Mac se distingue par des mesures encore plus coercitives que celles de ses prédécesseurs à l’encontre des oiseaux migrateurs. Il s’arrête juste avant l’image apocalyptique du tsunami et se contente, si l’on peut dire, de parler de « vagues migratoires (…) inédites depuis la fin de la Seconde guerre mondiale« . Le temps est bien loin où il félicitait Angela Mère pour sa politique migratoire. Avant le printemps 2017, on laissait vivre et surtout survivre des zones provisoires de nidification pendant quelques semaines ou quelques mois, surtout pendant la période hivernale. Depuis mai 2017, c’est fini : les bénévoles de la LPO travaillent dans la rue, dans les intempéries et sous la pression menaçante des chasseurs.
Il faut dire qu’Emmanuel a, en la personne de son ministre de l’Intérieur, un certain Gérard Colle, un archétype de la politique de répression vis-à-vis des oiseaux migrateurs. Mais pourquoi tant de haine ? Une quasi idée fixe qui l’occupe 24 heures sur 24. Une marotte qui s’est développée sur le tard ? Une posture qui lui donne l’air accablé et malheureux de Zaccaria RIPP. Ce n’est pas lui qui risque d’éprouver « de faux bons sentiments » à l’égard des partageux. Avec Gérard, la chasse aux oiseaux migrateurs est ouverte 365 jours par an, 366 les années bissextiles. Ceux d’entre eux qui seront enfermés dans les camps de rétention avicole pourront désormais y croupir 3 mois, quel que soit leur âge. On peut déjà y voir, derrière les grilles des volières, des oisillons de quelques semaines qui téteraient encore leur mère si leur mère avait des seins et du lait. Il est aussi question d’envoyer dans les centres d’hébergement d’urgence des gardes champêtres pour identifier et trier les oiseaux, ceux qui pourront peut-être se sédentariser, et les autres pour lesquels c’est le fameux oust ! dehors ! et n’y revenez pas ! Et Gérard de renchérir : « Bien sûr, je pense que ceux qui sont déboutés du droit d’asile doivent aujourd’hui être expulsés. » Bilan : plus 14% d’éloignements [d’oiseaux migrateurs] sur les onze premiers mois de l’année [2017].

Mon beau pays par l’hiver soumis
Quand reverrons-nous L’hirondelle
Noire et blanche, noire et blanche
Quand reverrons-nous L’hirondelle
Blanche au ventre et noire aux ailes

(Gilles Servat, L’Hirondelle)

Mais pourquoi un tel acharnement puisque, pour la plupart, ces oiseaux ne désirent que poursuivre leur vol vers le Nord-est ? Ceux qui souhaitent rester en France, comme les cigognes, sont rares et ne font que s’adapter au réchauffement climatique. Pourquoi donc ce front de haine ? Parce que ces oiseaux, en provenance le plus souvent d’Afrique, ont eu le tort, pour cause d’épuisement, de faire une première escale en Italie ou en Grèce, enfin dans un pays de l’Union européenne qui n’est pas celui de leur destination finale. Et les Etats se sont entendus à Dublin pour obliger les oiseaux à régulariser leur situation dans le pays où ils se sont posés la première fois, même s’ils en gardent le souvenir traumatisant d’enfermement, d’humiliations en tout genre et de sévices.

Quand ils se posent pour la première fois dans un pays de l’UE, les oiseaux sont contrôlés et surtout bagués. Cette bague, qui leur colle à la peau, porte mention de leur identité et du pays où ils se sont posés. Quand ils se posent ensuite dans un autre pays, pour s’y installer définitivement ou non, ils sont contraints de repartir faire leur demande d’asile dans le pays où ils se sont posés d’abord, quand bien même ils n’ont aucun désir de s’y installer et craignent même d’y remettre les pattes. Pour eux, la technique est bien rodée et le piège se referme inéluctablement.

Alors, quand vous croisez ces pauvres migrateurs devenus malgré eux d’éternels errants, ne vous demandez pas s’ils viennent d’un pays en guerre ou en crise économique. Donnez leur quelques graines et surtout peut-être un sourire, et dites-vous que dans quelques années, ils seront rejoints, inéluctablement, par les millions d’autres oiseaux qui seront devenus migrateurs malgré eux à cause des dérèglements climatiques qui s’accélèrent, et dont ils ne sont pas non plus responsables.

Yves Colombet, avril 2018

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